ROBERT RYMAN
Né en 1930 à Nashville (Tennessee). Décéde en 2019, à New York (Etats-unis).
«Mon intention n'a jamais été de faire des peintures blanches. Et ça ne l'est toujours pas. Je n'estime même pas que je peigne des peintures blanches. Le blanc est seulement un moyen d'exposer d'autres éléments de la peinture. Le blanc permet à d'autres choses de devenir visibles.»
In ART CRITIQUE, par Orianne Castel, 17/02/2019
Robert Ryman, une œuvre radicale, expérimentale et sensible
Le peintre américain Robert Ryman est mort vendredi 8 février dernier. Âgé de 88 ans, il s’est éteint dans sa demeure de Greenwich Village, à New-York. L’occasion pour Art Critique de revenir sur son parcours d’autodidacte et sur son œuvre toute en nuances.
Né le 30 mai 1930 à Nashville (Tennessee), Robert Ryman étudie le saxophone au Polytechnic Institute de Cookeville (1948-1949) puis au George Peabody College for Teachers de Nashville (1949-1950). Il rejoint ensuite l’armée de réserve américaine stationnée en Alabama où il intègre l’orchestre militaire. En 1952, il émigre à New York dans le but de parfaire sa formation de saxo ténor et de devenir musicien. Âgé de vingt ans et sans argent, il prend des leçons à cinq dollars avec le pianiste de jazz Lennie Tristano et enchaîne les petits boulots pour survivre. Habitué des musées et des galeries de Manhattan, il se fait embaucher comme gardien au MoMA (Museum of Modern Art) en 1953. Il y côtoie les peintures des grands maîtres de l’art moderne comme Matisse, Mondrian et Malevitch mais aussi celles des expressionnistes abstraits tels que Rothko et Pollock qui viennent d’intégrer les collections. C’est aussi au MoMA qu’il rencontre ceux qui, comme lui, font un travail alimentaire mais deviendront plus tard les acteurs du minimalisme et de l’art conceptuel : Dan Flavin, connu pour ses agencements géométriques de néons fluorescents, est gardien de salle, Sol LeWitt, dont on connaît les structures en cubes ajourés, travaille à la librairie et Robert Mangold, dont les peintures de formes colorées habillent les murs des plus grands musées, travaille lui à la bibliothèque. Lucy Lippard, qui deviendra une grande critique d’art de ces courants et avec qui Robert Ryman se mariera en 1960, oeuvre elle aussi à la bibliothèque du musée.
Enrichi de ces rencontres, le jeune homme s’essaie à la peinture à partir de 1954 ; un de ses tableaux de l’époque est même montré dans le cadre d’une exposition du personnel du musée en 1958. Mais c’est en 1966 qu’il se fait connaître en participant à la célèbre collective intitulée Systemic abstraction organisée au Musée Solomon R. Guggenheim. Orchestrée par l’influent critique d’art britannique Lawrence Alloway (réputé pour avoir inventé le terme « art populaire de masse » qui se démocratisera sous le nom de Pop Art), cette exposition pose les jalons de ce que sera l’art minimal. Cet événement bouleverse l’image du musée Guggenheim dirigé par Hilla Rebay qui avait jusque-là défendu une ligne abstraite versant dans le spirituel. Allaway, au contraire, s’inscrit dans une vision moderniste. Avec ce premier show générationnel et programmatique, il identifie la naissance d’une peinture abstraite géométrique qui se concentre sur des motifs simples dans un procédé de répétition. Ainsi, les œuvres de Robert Ryman se retrouvent à coté de celles de Frank Stella, Kenneth Noland, Ellsworth Kelly, Robert Mangold, Neil Williams, Jo Baer ou encore Agnes Martin.
La participation de Robert Ryman à l’émergence de ce qui a été nommé « peinture systémique » en référence à l’organisation méthodique propre à ces nouvelles peintures lui offre le début d’une reconnaissance ; il obtient sa première exposition personnelle à la Paul Bianchini Gallery de New-York l’année suivante. Si cette exposition est un échec sur le plan commercial (elle ne donne lieu à aucune vente), elle lui permet de se faire connaître et d’exposer en Europe dès 1968. La première exposition à l’étranger, sobrement intitulée Robert Ryman, a lieu à la Galerie Heiner Friedrich de Munich alors très prisée des collectionneurs d’avant-garde.
À la suite de cette première reconnaissance internationale, l’œuvre de l’artiste sera montrée indifféremment à Düsseldorf (Galerie Konrad Fischer), à Paris (Galerie Yvon Lambert), à Milan (Galerie Françoise Lambert). En 1969, Robert Ryman participe à l’exposition devenue mythique Live in Your Head plus connue sous le nom de son sous-titre When Attitudes Become Form (Quand les attitudes deviennent forme) à la Kunsthalle de Berne. Conçue par le curateur Harald Szeemann, cette exposition marque la naissance de l’art contemporain en présentant des œuvres inachevées relevant de processus propres à l’art conceptuel, d’actions typiques de l’art performatif et d’environnements caractéristiques de l’Arte Povera. Bien que n’appartenant à aucun de ces trois mouvements Robert Ryman expose aux côtés de Carl Andre, Joseph Beuys, Mel Bochner, Eva Hesse, Fred Sandback, Lawrence Weiner et bien d’autres, pendant que Daniel Buren, qui n’avait pas été invité, pratique une série d’affichages sauvages aux alentours du centre d’art.
Après de nombreuses expositions, individuelles en galerie et collectives dans diverses institutions, Robert Ryman obtient sa première exposition en solo dans un musée, le Guggenheim de New-York. La même année, en 1972, il participe à la cinquième Documenta de Cassel qu’organise le commissaire d’exposition suisse Harald Szeemann. Il est à nouveau invité en 1977 et en 1982. Il participe également à la Biennale de Venise de 1976 et à la Biennale de Whitney en 1977, 1987 et 1985. C’est en 1993 que le MoMA, institution où il exposa sa première œuvre lors d’un accrochage du personnel, lui consacre une rétrospective.
Robert Ryman est connu pour ses tableaux blancs très souvent de format carré comme bien d’autres artistes de son époque telle Agnes Martin. Au sein de ce champ étroit, limité à une couleur et un format, il s’est attaché à produire de multiples variations afin que ces tableaux ne soient pas perçus comme des monochromes. Il a diversifié ses supports (travaillant sur des toiles, du bois mais aussi du vinyle, du verre et même de la fibre de verre) afin de modifier la tonalité du blanc comme il s’en expliquait dans un entretien donné à la revue Art forum en 1971 : « Le support est toujours utilisé. Le gris de l’acier transparaît ; le brun du papier ondulé transparaît ; le lin transparaît, comme le coton (il paraît plus blanc que la peinture) : tout cela est pris en considération. Cela n’a rien de monochrome ». Il a aussi souvent changé de matière (en plus de la peinture, tantôt industrielle, tantôt conçue spécifiquement pour des artistes, il s’est essayé à l’émail, à l’encaustique, au solvant et à la caséine) et a expérimenté différents gestes en utilisant tour à tour le pinceau et le couteau pour créer des aplats très lisses comme des empâtements très épais. Témoignant de cette époque qui pense la relation entre surface et support, les peintures de Robert Ryman laissent apparaître leur processus de fabrication. Le support est toujours en partie visible, de même les premières couches colorées. En 1986, il l’expliquait ainsi : « Mon intention n’a jamais été de faire des peintures blanches. Et ça ne l’est toujours pas. Je n’estime même pas que je peigne des peintures blanches. Le blanc est seulement un moyen d’exposer d’autres éléments de la peinture. Le blanc permet à d’autres choses de devenir visibles. » Le blanc est aussi, à cette époque qui voit naître le « white cube », celui des murs d’exposition. Ton sur ton, les toiles de Ryman s’inscrivent dans une démarche moderniste, interrogent les limites de la surface picturale et son rapport au plan du mur, jouant de l’espace et de la lumière. Si Ryman a toujours refusé que l’on nomme ses peintures des monochromes, il n’a pas non plus accepté la lecture minimaliste de son travail (là encore, la proximité avec A. Martin est frappante). Robert Ryman affirmait faire un « art concret », se revendiquait « réaliste ». Et s’il a pu utiliser des supports industriels comme le métal, le plexiglas ou l’aluminium, il n’a jamais renoncé au « fait main ».
Robert Ryman a su conjuguer la radicalité minimale d’un format et d’une couleur unique et la sensualité expressive de la « touche » tout en pensant le rapport entre le tableau et son espace d’exposition. Il a intégré les interrogations des différents mouvements de l’art de son époque au sein d’un répertoire personnel.