ROBERT MORRIS


  • Labyrinth
  • Titre : Labyrinth
  • Numéro d'édition :
  • Dimensions : 106 5 x 152, 5 cm
  • Année : 1973
  • Technique : plume et encre sur papier fin, encadré
  • Biographie

    ROBERT MORRIS

    « Renoncer aux formes et aux agencements durables est positif . 1968» 

    Né en 1931 à Kansas City (Missouri - Etats-Unis). Décédé en 2018 à Kingston, (Etat de New York, Etats-Unis)

    Entre 1960 et 1970, Robert Morris a produit ce que nous considérons aujourd’hui comme des œuvres canoniques de l’art minimal et post-minimal. Ses œuvres sont alors marquées par un intérêt pour les processus de production et de perception. Ces objets sont créés par l’artiste à partir de matériaux et de méthodes empruntés à l’industrie du bâtiment et reposant sur des principes de répétition, de permutation et de hasard. Leur forme s'affranchit des normes de composition de l’abstraction moderniste. Conçus à la même échelle que le corps de l’artiste et de l’observateur - "le corps perceptif" -, ils privilégient une relation physique directe. L’accent mis sur la rencontre entre le sujet et l’objet est inspiré par les mondes de la danse et de la performance, dans lesquels Morris s’est également impliqué. Sans être monumentaux, ces objets disposés à même le sol sont suffisamment imposants pour mobiliser l’espace de la pièce : ils confrontent, obstruent, entravent. 

     

     

    A partir de 1967, Robert Morris utilise le feutre industriel pour ses propriétés molles. Plier puis découper le feutre industriel qui, suspendu au mur, engendre des formes à chaque fois différentes sous le poids de la matière. À rebours de toute l’histoire de la sculpture, la matière détermine ici la forme. La série « Felt pieces » marque chez lui le retour de la main et de la dimension de processus dans le fait d’aller fixer la pièce. Il explore la dimension du vivant, l’aléatoire, le technique. Il ne s’agit pas d’un nuancier, le coloris n’étant pas contrôlable. Les feutres exposés à Saint-Etienne sont ceux qui ont été présentés à la Leo Castelli Gallery en avril 1968. Morris suit les exigences de la matière, la découpant pour en accentuer ses retombées. Les multiples plis dans le feutre sont comparables au « dripping » de Jackson Pollock. La même idée de la matière qui s’écoule les caractérise. Les travaux les plus fameux des années soixante sont qualifiés par Morris lui-même de « Large form objects ». Monolithes, les œuvres oscillent entre deux valeurs : la rigidité et la souplesse, de la même manière que chez Claes Oldenburg, et établissent un rapport entre le mur et le sol. Chaque pièce correspond à un matériau distinct. Elles sont réunies ici par leur capacité à absorber la lumière. La structure visible émerge directement du sol. Elles sont conçues en contreplaqué, en maille d’acier et en fibres de verre cirées. Chacune représente un cadre, une sorte d’outil de cadrage qui vient rappeler la perception de l’espace. Les pièces dégagent une impression de peau, d’épiderme qui les réunit et les séparent en même temps. « Untitled (Pine Portal with Mirrors) » exécutée en 1961, symbolisation du passage, constitue sa première expérience du bois brut. L’œuvre illusionniste contient la complexité de la notion d’espace-temps.

     

    Compte-rendu de l'exposition au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole (2020)

    Le parcours est initié par la pièce réalisée en 1965, « Untitled[1] (3Ls) » qui se compose de trois structures identiques en forme de L, construites en contreplaqué recouvert de peinture grise. Elle offre un parfait résumé de l'art minimal : A la délégation du faire qui caractérise l'art conceptuel répond la recherche de la forme idéale pour qu’elle soit perçue, comprise, immédiatement. Robert Morris élabore ici une forme unitaire à partir de cubes évidés. Il emprunte à l’architecture l'angle à quatre-vingt-dix degrés. Il invente la forme parfaite, unitaire, modulable, avec un ancrage direct au sol, abolissant tous les prérequis de la sculpture, en premier lieu le piédestal. Il utilise le terme de « forme unitaire » pour se dégager du mot « sculpture ». Le concept répond à la notion d’ « objet spécifique », proposée par Donald Judd (1928 – 1994) pour définir la relation particulière entre objet, espace et regardeur. Exposé pour la première fois en 1965 à la Leo Castelli de New York, « Untitled 3Ls » ne compte que deux unités, l'artiste n'ayant pas eu le temps de réaliser la troisième. Celle-ci ne sera ajoutée que quelques années plus tard. L'idée est de faire naitre toutes les permutations possibles. En 1966, « Untitled (3Ls) »est montré dans l'exposition collective « Primary sculpture » au Jewish Museum de New York, aux côtés d’œuvres de Donald Judd, Carl Andre, Sol LeWitt ou encore Dan Flavin. Elle marque l'acte de naissance du minimalisme. La déclinaison de « Untitled (3Ls) » est similaire mais sa présentation diffère. Elle revêt une dimension corporelle et anthropomorphe. Chacun des trois modules se lit comme la position d'un corps couché, assis ou debout. Une photographie prise au début des années soixante montre Robert Morris performant « Untitled (Box for standing) » dans l'atelier de Yoko Ono, debout dans une sorte de boite à sa taille. Pour son premier objet minimaliste, Morris avait imaginé une série de structures en bois brut pouvant contenir un corps dans l’une de ses trois positions. Il ajoute la présence physique dans l'espace, déterminant un rapport à l'ensemble : l'objet, le corps, le spectateur. La sculpture prend la place du corps. En activant la pièce par une coprésence humaine – le visiteur –, il l'a fait exister. Dans un article intitulé « Art and objecthood[2] », paru dans la revue Artforum à l’été 1967, écrit en réponse de l’article « Notes on sculptures » que Robert Morris avait publié l’année précédente, le critique Michael Fried attaque violemment les minimalistes, reprochant à cette nouvelle forme d’abstraction, dont le moment clef, ici et maintenant, implique un terrain autonome de développement, d’extorquer une réaction au public à travers leur théâtralité.

    Morris présente pour la première fois « Untitled (scatter piece) » au cours de l’hiver 1968-69 dans l’entrepôt que possède la Leo Castelli Gallery à Harlem. Le mot « scatter » signifie disperser, répandre. L’œuvre, qui comprend deux cents pièces – pour moitié six métaux différents et du feutre industriel pour le reste, non pas des objets trouvés mais fabriqués spécifiquement pour l’installation –, n’a pas de configuration fixe. Son installation repose sur le hasard. Ce n’est qu’une fois qu’elle est montée qu’elle se fige pour la durée de son exposition. Trois options possibles : plat, plié une fois, plié deux fois, déterminent la forme des éléments dont la présentation répond à un processus aléatoire nommé « Chance operations », en référence au compositeur John Cage. L’installation répond néanmoins à quelques règles édictées par Morris tels que les éléments d’un même matériau ne peuvent se toucher ou encore l’ensemble doit générer une certaine densité.

    Daté de 1965, « Untitled (Mirrored cubes) » répète quatre fois un cube recouvert de surface miroitante. Leur espacement détermine une croix. Il s’agit d’une structure déductible comme la galerie des glaces à Versailles. Le corps, la structure et l’espace interagissent pour donner une sensation d’illusion. Dans « Mirror », court film de 1969, Robert Morris détourne la perception de l’espace et du mouvement en se déplaçant de façon circulaire dans un paysage enneigé, tenant un miroir devant lui. L’objet réfléchit le paysage environnant dans un premier temps, paysage qui disparaît à mesure de l’éloignement de l’artiste, pour ne réverbérer plus que la lumière. Dans un texte postérieur, Morris évoque le caractère illusoire du miroir en tant qu’espace frauduleux. « Untitled (Portland mirrors) », daté de 1977, se compose de quatre miroirs identiques posés au ras du sol, positionnés au centre de chaque mur, reliés entre eux par des fragments de poutre de bois. L’œuvre s’impose comme l’apogée de ce que Robert Morris a démontré à travers l’illusion du miroir, une trace immédiate du réel. Ici, le losange de bois part à l‘infini, il zigzague.

    Au cours des décennies 1960-70, Robert Morris produit des pièces parmi les plus iconiques de l’art minimal et post-minimal, marquées par une attention spécifique pour les processus de production et de perception, réalisées dans des matériaux et des méthodes issus de l’industrie du bâtiment, reposant sur des principes de répétition, de permutation et de hasard. La légitimité du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne qui, depuis l’exposition qu’il lui a consacré en 1974, n’a cessé d’acquérir des œuvres, constituant un ensemble remarquable, en faisait le lieu de monstration idéal en France. L’exposition qui vient de s’achever a ainsi permis de rassembler un ensemble important d’œuvres jusque-là rarement présentées dans l’Hexagone, permettant d’entrer de plain-pied dans l’œuvre de l’artiste américain qui, malgré la simplicité quasi primaire des moyens qu’elle déploie, se révèle monumentale.